« Comment enquêter sur l’exploitation minière », tel est le thème du webinaire numéro 100 du Forum Pamela Howard de l’International Center for Journalist (ICFJ) sur le Reportage des Crises Mondiales, animé par Kossi Balao, le directeur du Forum, et auquel ont pris part Arnaud Nguefack, directeur de publication de l’hebdomadaire Infos Majeures, Elie Kabore, formateur et directeur de publication du journal Mines Actu Burkina, et Vincent Namrona, spécialiste de communication sur les ressources naturelles dans les pays francophones en conflit au sud du Sahara, avec un focus sur le Centrafrique.
Boost rédactionnel mensuel
« Nous lançons un mini-concours pour primer mensuellement les meilleurs articles écrits à partir d’un webinaire organisé par notre Forum et auquel vous avez participé.
Les candidats doivent être membres du Forum et soumettre leurs productions en français. Pour être éligible, l’article ou le reportage doit être lié à un webinaire ou formation du mois au cours duquel vous postulez.
Chaque mois, un lauréat ou une lauréate gagnera un montant de 250 dollars américains. Le mini-concours démarre en août jusqu’en décembre 2022. »
Explique Balao Kossi, journaliste du Togo, sur la page Facebook du Forum Pamela Howard ICFJ sur les Reportages des Crises mondiales (https://cutt.ly/cCrPvVw), les raisons de l’organisation du webinaire 100.
Promotion de l’enquête journalistique
La thématique du webinaire 100 vise à encourager l’enquête journalistique afin de répondre, atténuer et/ou résoudre une problématique, signe d’un paradoxe subi par l’Afrique : la richesse minière de l’Afrique ne fait qu’appauvrir les populations du continent, et dont on ne bénéficie, au demeurant, que les multinationales collectant dividendes et garantissant rentabilité à leurs top management et personnels y exerçant, en grande majorité des expatriés.
La richesse minière de l’Afrique
Tout d’abord les chiffres, révélés par Kossi Balao : l’Afrique possède 30% des réserves minières mondiales, 54% de la production mondiale du platine, 78% de celle du diamant, 40% de chrome, 2,8% de manganèse ; le continent est le premier producteur de la bauxite.
Le cobalt, produit intervenant dans la fabrication des téléphones mobiles et des voitures électriques, est fourni à l’échelle mondiale à hauteur de 60% des sous-sols de la République démocratique du Congo (RDC).
Le paradoxe de la pauvreté des populations
La richesse minière du continent et son impact sur l’essor des industries extractives des produits cités et tant d’autres, n’a pu, du moins à ce jour, assurer une situation acceptable sur le plan socioéconomique aux peuples du continent africain.
Pire, « les gens meurent de faim en Afrique, ne profitant pas de sa manne minière. », tient à préciser Balao
D’où les interrogations légitimes formulées par l’animateur du webinaire 100, « qui exploite les ressources minières ? A qui profite-elle ? Qui sont les acteurs du secteur minier ? Pourquoi les projets miniers baignent-ils dans une opacité totale ? Comment expliquer que le continent sois assez riche et ses populations assez pauvre ?»
Les symptômes
Instabilité politique, corruption, conflit d’intérêt…
Les réponses, puisées d’une expérience journalistique, affluent.
Vincent Namrona, spécialiste de communication sur les ressources naturelles dans les pays francophones en conflit au sud du Sahara, avec un focus sur le Centrafrique, d’où il est natif, indiquera, en ce sens, que « les ressources naturelles de l’Afrique sont au cœur de ses conflits ; elles sont à l’origine de beaucoup d’instabilité politique dans la région. », ajoutant : « Quant à l’exploitation minière, elle est souvent lancée en infraction à la réglementation en vigueur, alors que le contrôle et le suivi sont faits d’une manière ancrant les pratiques corruptives. »
Manque d’expertise africaine
Elie Kaboré, formateur et directeur de publication du journal Mines Actu Burkina, décortique à son tour la situation, en ces termes, « l’expertise manque à l’Afrique, qui semble surpris par le boom minier dans certains pays, pourtant recelant des réserves minières vieilles de 100 ans, notamment au Ghana, en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud. On ne capitalise pas autant tous ces acquis, car le traitement de ce dossier se caractérise par les insuffisances en matière de contrôle ; les Etats africains étant incapables de comprendre comment y faire et comment avoir un cadre juridique et réglementaire bien ficelé. »
Discrimination professionnelle
« Au Burkina Faso, l’accès des investisseurs nationaux au marché minier demeure très difficile. », ajoute Kaboré. La mainmise des multinationales semble, de son avis, prégnante. La création des richesses et le pourvoi de l’emploi locaux doivent, insiste Kaboré, être la priorité des gouvernants africains.
Réglementation
Absence de la réglementation, manque d’analyse du contrat minier, notamment dans son aspect impactant les communautés locales, inexistence du contrôle et de vérification du processus d’octroi des permis des concessions minières. Autant d’entraves au bon fonctionnement du secteur minier, mises en évidence par Elie Kaboré. « Pour l’exemple, la vérification a permis au président de la Guinée en personne de dénoncer le manque d’infrastructures dans les projets miniers dans son pays. », rappelle Kaboré.
Fiscalité
Kaboré dénonce la clause de stabilisation fiscale. « Au Burkina Faso, l’Impôt sur les bénéfices des sociétés (ISB) est de 17 %, alors que dans d’autres pays du continent, il est de 27 %. Les sociétés exploitantes économisent donc 10 % chez nous. »
Il a ajouté : « Lorsque le contrat minier est négocié, comme dans le cas de l’affaire Areva au Niger, où aucune taxe n’est imposée, cela provoque l’assèchement des ressources financières de l’Etat. »
Actualisation des codes miniers
Kaboré recommande la révision réglementaire relative aux mines, prenant toujours l’exemple du Burkina qui a actualisé, en 2015, son code minier datant de 2003, « une étape considérée comme révolutionnaire en Afrique, car ayant permis à l’Etat la maximalisation des retombées financières. »
« La maximalisation des profits, poursuit le responsable de Mines Actu Burkina, doit être le cheval de bataille des gouvernants, car les ressources, notamment les hydrocarbures, sont non-renouvelables, autant donc en tirer le maximum de recettes de leur exploitation. »
L’indispensabilité des annexes
Kaboré conseille, pour plus d’imprégnation des textes légaux, de « voir les annexes déterminant certaines paramètres, et où s’y trouve le fonds du problème. Le contrat minier, lui, ne comporte que des généralités. »
Non-application réglementaire
Arnaud Nguefack, directeur de publication de l’hebdomadaire camerounais Infos Majeures, émet, quant à lui, un autre avis : « En revanche, la réglementation relative aux mines existe dans la législation du Cameroun, c’est son application qui manque. »
Il dira, détaillant, « le Cameroun a même été doté d’une Société nationale des mines (Sonamines), qui exploite, sous contrat de concession minière, les mines du pays. (Paul Biya, le chef de l’État du Cameroun a signé, le 14 décembre 2020, un décret portant création de la Société nationale des mines (Sonamines). Elle est placée sous tutelle du ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique (MINMIDT), ndlr). »
Chantage et représailles
« Une multinationale a même demandé la non-application de la taxe de développement local à son encontre au motif qu’elle n’engrange aucun bénéfice. C’est ce que nous appelons du chantage.», indique également Elie Kaboré.
Pour sa part, Arnaud Nguefak révèle : « Il est parfois arrivé que des forces de l’ordre tirent sur les populations locales qui revendiquaient un certain droit. Ces dernières n’ont même pas obtenu gain de cause auprès des juridictions compétentes saisies à pour statuer en leur faveur.»
Ces deux faits reflètent la force des multinationales dans leur ambition d’atteindre leurs objectifs, en usant de « la fin justifie les moyens » à outrance.
L’espoir journalistique
Dénoncer
L’espoir est permis. La conjugaison de l’investigation journalistique et de la mobilisation de la société civile le permettent.
Le tour de l’investigation en cinq étapes
Comment enquêter ? La question coule de source dans un environnement qui espère illuminer son bout du tunnel par un seul mot : dénoncer.
Cinq étapes sont nécessaires pour faire une bonne investigation journalistique, selon le comptage d’Arnaud Nguefak. Ecoutons-le
« La première étape : l’identification du problème qui doit susciter cette enquête, que ce soit par l’observation, un fait d’actualité ou la recherche.
La deuxième : la formulation de la question à laquelle l’enquête doit tenter d’y répondre. La documentation, en est la troisième.
Repérer, identifier, localiser…les sites objets de l’investigation journalistique, c’est la quatrième, considérée comme la plus difficile. La publication de l’enquête clôt les cinq étapes, mais elle-même conditionnée par un préalable : la confiance établie entre le journaliste et sa hiérarchie rédactionnelle. »
Contraintes
Exogènes
La mission du journaliste n’est pas aisée. Loin de là. L’accès à l’information demeure la plus grande haie à surmonter. Nguefak scinde les potentielles sources journalistiques en trois catégories. « Les sociétés exploitant les mines, qui ne divulguent rien aux journalistes, car ils sont obligés de couvrir leurs frasques ; les populations, elles aussi, rétives à communiquer, car craignant pour leurs vies, et, enfin, l’Administration, généralement gangrenée par la corruption, évitant du coup de compromettre l’Etat. »
Pour sa part, Elie Kaboré dira : « C’est l’accès à l’information qui pose problème, les chargés de la communication des institutions de nature corporate, prétextant la confidentialité pour ne pas fournir d’informations. Les administrations publiques, c’est connu, ont une culture du secret. »
Intra-muros
Le blocage peut également être interne, donc au sein de la rédaction ou le journaliste exerce. « Il faut savoir comment aborder le sujet de l’enquête, bien le vendre à sa propre entreprise médiatique, car les entreprises médiatiques sont également des entreprises à caractère commercial. », rétorque Nguefak à une question des internautes sur l’impératif de dénoncer les journalistes qui promeuvent, sous certaines conditions, les sociétés exploitant les mines, faisant donc motus sur les dépassements de celles-ci.
Les entreprises médiatiques doivent donc veiller à avoir des recettes qui assurent leur rentabilité, permettant leur survie. Et parmi les annonceurs, une société exploitant les gisements miniers peut en être un. C’est dire le risque de chantage qui se profile.
Les sources
La source d’information institutionnelle
Enfin, Kaboré propose le recours au croisement d’informations émanant des rapports de quelques institutions reconnues à l’échelle internationale, dont le Fonds monétaire internationale (FMI), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’African Tax Administration Forum (ATAF), Energia, ou encore GF Trade (organisme basé aux USA, qui publie périodiquement des détails sur la facturation et la surfacturation, ce qui permet de prendre connaissance des revenues des sociétés, les types et quantités des équipements importés, les prix appliqués et les prix réels, etc).
Il a, également, rappelé l’existence de quelques publications qui conditionnent l’accès à l’information en ligne par un paiement.
Bailleurs de fonds
Le webinaire 100 a clôt son débat par l’énumération de quelques financiers mondiaux encourageant, par des récompenses ou des bourses, l’investigation journalistique. Et ce, en réponse à une question posée par un internaute, intitulée « Y-a-t-il des organismes ou associations qui financent des journalistes qui enquêtent sur les réserves minières ? »
Elie Kaboré a cité CENOZO (Cellule Norbert Zongo pour le Journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest), alors qu’Arnaud Nguefak a mis en relief les rôles de Thomson Reuters et le Centre de l’environnement et du développement du Cameroun dans l’encouragement des journalistes désireux de se lancer dans des investigations.
Le débat du webinaire 100, riche au plus haut point, a malheureusement été amoindri par la connexion défectueuse de Vincent Namrona, dont beaucoup de passages ont été inaudibles.